Une Vie de Staff

Nous ne sommes peut-être pas aussi gracieux que les Dalmatiens ou raffinés que les Lévriers Afghans mais nous, les American Staffordshire Terriers, dits « Staffs », nous avons une « gueule ».

Si notre mâchoire large et notre physique de molosses en impressionnent certains, pour beaucoup de ceux qui nous choisissent, nous sommes surtout des chiens « assurants ».

Etrange de penser que certains êtres humains pensent que le fait de promener un chien athlétique nommé Kalach’, Tyson, ou Narco, de préférence sans laisse ni muselière, fait d’eux des caïds où des gens impressionnants.

« Heeeuuu… mon gars, c’est moi qui impressionne, pas toi ».

Si certains sont sincères dans leur amour des molosses, malheureusement, depuis quelques temps, comme les malinois en leur temps (peut-être pas terminé), nous sommes les victimes d’un effet de mode alors même que, faisant partie des chiens dit « catégorisés », nous ne sommes précisément pas les chiens de tout le monde.

Avoir un chien catégorisé implique en effet de nombreuses obligations légales.

Pour acquérir un chien de deuxième catégorie à laquelle nous, les « Staffs » pure race, appartenons, il est indispensable d’être majeur, capable et d’avoir un casier judiciaire vierge.

Il faut ensuite obtenir un permis de détention pour être à même de nous détenir dans des conditions assurant notre sécurité et celle d’autrui. C’est le maire, auquel notre arrivée sur la commune doit obligatoirement être signalée, qui délivre ce permis

Côté sécurité, pas question de se balader librement à 100 mètres devant notre propriétaire.

Nous devons obligatoirement être tenus en laisse et porter une muselière.

Nous devons aussi être vaccinés contre la rage et subir une évaluation comportementale quand nous atteignons l’âge de 8 mois, et ce, avant nos un an.

Ça a l’air contraignant mais je puis vous assurer que c’est bien pire pour les chiens appartenant à la première catégorie.

D’ailleurs, un « Staff » non inscrit au livre des origines françaises (LOF) sera réduit à un chien « de type American Staffordshire Terrier » et appartiendra à la première catégorie et là…. oubliez l’idée … trop contraignant pour vous et trop dangereux pour le chien en cas de … problème.

Pour ce qui me concerne, j’ai l’avantage d’avoir mon précieux sésame : un pédigrée béton et l’inscription au LOF qui va avec.

Je me pensais à l’abri de tout problème.

Sauf que la vie d’un chien dépend surtout des choix de son humain et de ce point de vue, la chance n’a pas été avec moi.

Ma propriétaire a craqué sur ma « gueule » en parcourant les annonces « vente d’animaux » sur Internet (Un bon coin pour les humains, qui s’avère souvent un mauvais plan pour les animaux.).

Au départ, elle parcourait ce site sans vraiment avoir l’intention d’agrandir la famille avec un chiot mais que faire face à un coup de foudre ? Pourquoi attendre ? Pourquoi réfléchir ?

A priori la personne qui m’a vendue n’avait pas connaissance de l’obligation légale de signer un certificat d’engagement et de connaissances au moins 7 jours avant d’acquérir un chien, un chat, un lapin ou un furet.

Ma cliente n’a pas regretté son achat puisqu’à peine quelques mois après mon arrivée chez elle, elle a eu envie d’un autre chien. Un « comme moi ».

Je découvrais les joies de la saillie.

Quelques mois plus tard, je mettais au monde neuf bébés dont les photographies ont rapidement été publiées sur « Le mauvais plan ». La mention d’un prix à côté des photos (1200 euros, comme moi quelques mois auparavant) m’a permis de comprendre que les petites frimousses n’étaient pas exposées sur Internet juste par fierté.

Très vite, tous ont trouvé preneurs.

Neuf coups de foudre à 1200 euros, sans délai de réflexion.

Très rapidement, c’est reparti pour un tour : Re saillie, Re chiots, Re photos, Re 1200 euros par tête, re « au revoir les bébés ».

Il y a quelques jours, lors d’une promenade, sans laisse ni muselière (comme d’habitude), j’avais peut-être encore les hormones en folie mais il y a eu ce yorkshire…

Je ne l’avais jamais croisé et je l’ai trouvé très … agaçant.

Incapable de me contrôler, je me suis vue me précipiter sur lui et le mordre à pleines dents.

Je ne sais pas ce qui m’a pris ; j’étais comme possédée.

C’est sans doute ce qu’on appelle « l’instinct » et qui sommeille en chacun de nous.

Le réflexe de l’humain du Yorkshire a été de s’interposer pour protéger son chien.

Toujours aveuglée par cette colère que je ne comprenais pas, je suis revenue à la charge contre mon congénère et, sans même m’en rendre compte, j’ai mordu son propriétaire.

C’est à ce moment précis que tout a basculé.

Lorsqu’un humain est mordu par un chien, le maire doit être prévenu.

Et là, l’enquête commence : Ma propriétaire ne remplit aucune des cases obligatoires du détenteur de chien de deuxième catégorie. Impossible de repartir avec elle.

Des hommes en bleu m’emmènent et me confient à une association pour qu’elle fasse « le nécessaire », soit trois tests antirabiques à une semaine d’intervalle et une évaluation comportementale, pour définir mon « degré de dangerosité ».

J’étais sans doute un peu stressée ; je n’ai pas été une bonne élève et la vétérinaire m’a mis une note de 3 sur 4 : « Le chien présente un risque de dangerosité critique pour certaines personnes ou dans certaines situations ».

A cause d’un coup de foudre mal géré par une personne inconsciente qui sa devoir s’en expliquer devant un Tribunal, un petit chien n’a pas survécu à ses blessures tandis que son maitre a été blessé et a souffert d’avoir perdu son compagnon.

Quant à moi, je suis là, objet d’une saisie conservatoire, comme une arme ou un voiture, confiée à un refuge missionné pour prendre soin de moi jusqu’à ce qu’un juge décide de mon sort.

Il est évident que je ne retournerai jamais chez moi.

Aussi grand que puisse être un enclos, aussi attentionnés que puissent être les soigneurs, un refuge n’est pas une maison.

Je vais devoir attendre sagement qu’un visiteur du refuge voit en moi autre chose qu’un chien au physique « assurant ».

Mais je ne suis plus un chiot mignon et je ne suis pas la seule ici à attendre une famille digne de ce nom.

Lors de mes ballades j’ai découvert que nous étions nombreux dans ce refuge ; beaucoup de mes congénères de race « Staff » dont les histoires ressemblent à la mienne ; toujours un humain égoïste à l’origine de nos déboires.

Ce soir, seule dans mon box, je pense à mes chiots, vendus sans la moindre précaution.

Combien d’entre eux transiteront par la case « refuge » ?

4 Commentaires

  1. Sandrine Cornthwaite

    Bonjour,
    Très vrai cet article (même si parler pour un chien me semble toujours un exercice délicat…)!
    Bravo! Éveiller les consciences, c’est le challenge à relever pour les années à venir, rendre les détenteurs, maîtres de chiens (quelques soit la dénomination choisie) plus responsable, plus impliqués , plus conscients de leur rôle à jouer dans la vie, le bien être et le devenir de leur animal. Mais attention à ne pas trop humaniser le chien, car c’est source de bien des maux pour de nombreux propriétaires qui n’ont justement rien compris au chien.

    Réponse
    • Animalex Avocats

      Merci pour votre commentaire et pour ce rappel important. 😉

      Réponse
  2. Karine Lacroix

    Très bel article. Malheureusement c’est tellement la réalité.

    Réponse
    • Animalex Avocats

      Merci infiniment. Oui, un staff entre de mauvaises mains est un staff en danger.

      Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *